Encore une nouvelle interview, histoire de vous faire découvrir de supers artistes. Un dessinateur/scénariste cette fois-ci, Larry Castilo, auteur de Lust for Life et Welcome in Amnesia, deux excellents BDs !
Flynn SFFF : Salut Larry,
Pourrais-tu te présenter aux lecteurs de l’interview ?
Larry Castillo : Je m'appelle Laurent Castille, A.K.A. Larry Castillo, dessinateur de BD. C'est toujours bizarre de se présenter... que dire? En résumé, j'aime les trucs un brin déviant et inutile, comme la BD, le Death-Metal, le catch et la subtilité. Mes influences vont de Richard Corben à Jordi Bernet en passant par Winsor McCay ou Katsuhiro Otomo et Naoki Urasawa, le cinéma de John Carpenter et de Sergio Leone et les pin-up à gros seins, parce que je suis un être fruste et primaire.
Flynn SFFF : Un être cultivé et...dérangé, ça te résume bien, non ?
Comment est née ta passion pour la BD ?
L. C. : Un peu par hasard, je pense... Mon premier choc visuel, c'était les jaquettes de livre de SF de mon paternel, covers signées de Siudmak, Boris ou Frazzetta. Puis il y a eu les pochettes de disques d'Iron Maiden, des disques New-Wave, etc...Ces images me fascinaient, elles étaient morbides mais sensuelles, sexy mais effrayantes, bref, elles faisaient leur office sur mon cerveau en construction...
Ensuite, vers mes 10-11 ans, j'ai découvert les comic-books de chez LUG, imprimés sur papier-cul, et là, ça été une sorte d'épiphanie, j'aimais ces couleurs saturées, les ombres contrastées, les femmes à gros lolos, les mecs balèzes, les dinosaures-robots... A l'époque (fin 70-début 80) c'était assez nouveau comme délire, tout semblait à la fois irréel mais concret, gros paradoxe qui est selon moi le moteur d'une BD réussie: s'éloigner le plus possible de la réalité, en ne prenant que le strict nécessaire, et remonter ces éléments du réel pour en refaire quelque chose de neuf...
Je sais, ça pue le complexe de Dieu, mais je pense que la plupart des gens qui ont une activité artistique sont un peu comme ça: déçu de la réalité, on recrée dans son coin le monde tel qu'il aurait dû être...
Flynn SFFF : Tu voulais donc ton propre monde, et c'est dans la BD que tu as trouvé une échappatoire au notre, au monde réel ?
Et à partir de quand tu as commencé à écrire et dessiner des BDs ?
L. C. : En gros, j'ai commencé vers 13-14 ans, comme ça, sur des feuilles de cours... Mais à l'époque, je ne voyais pas ça comme un métier, plus comme un hobby. A l'époque (les années fin 80-début 90) je découvrais les mangas, les jeux vidéo, le cinéma plus adulte, genre Carpenter, Cronenberg, les Trauma, bref, tout ce qu'il y avait de louable dans un vidéo-club (je sais même pas si ça existe encore, les vidéo-clubs)... Donc, à l'époque, je savais que j'aimais la culture B, voire Z, mais sans avoir eu d'épiphanie pour la BD. C'est plus vers mes 18 ans que j'ai eu envie de faire ça, comme si c'était évident (alors que même maintenant, je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai fait ce choix...) Après mes études, je me disais qu'écrire des histoires sans en avoir vécu n'avait pas de sens. Alors j'ai un peu roulé ma bosse, fait plein de boulots plus débiles et mal payés les uns que les autres, ai voyagé, etc... Arrivé à la trentaine, j'ai rencontré ma femme, qui m'a remis en selle, elle trouvait que j'avais du talent et m'a poussé à m'y remettre (j'avoue qu'entre-temps, j'avais un peu oublié la BD... comme quoi…) Mais dès le départ, je ne voulais pas me cantonner dans un genre ou un style, donc, pour éviter plein de malentendus, j'ai créé dEADmEATcOMIX, un faux studio de BD, où je bossais seul à la base. Avec le temps, et la maîtrise venant, j'ai eu un peu plus confiance, et depuis cette année, je bosse en tandem de temps à autre: avec Patrick Artus sur un polar assez noir sur fond de la question de l'immigration et de ses conséquences, le tout virant au fantastique et avec Nathan Skars, un scénariste avec qui je bosse sur des histoires courtes...
Flynn SFFF : Tu as donc été bercé dans la culture du cinéma de série B et Z, dans plus ou moins ce qui constitue désormais la culture populaire ? C'est tout cet univers un peu déjanté qui t'inspire ?
L. C. : Oui c'est ce genre d'ambiance qui m'inspire, parce que c'est décalé... Je trouve la réalité terriblement ennuyeuse, et paradoxalement, sans ce poids du quotidien, je ne ferais certainement pas ce genre de BD, c'est cet ennui qui me donne envie d'aller voir au-delà des choses, à essayer de traduire ce que je ressens...
En résumé, pour citer Paul Klee, L'art ne reproduit pas le visible. Il rend visible.
Flynn SFFF : Comment es-tu arrivé chez Galaxie Comics ?
L. C. : J'y suis arrivé presque par hasard... J'avais fini mon premier album, Lust for Life, un survival zombie sous acide, et j'ai essuyé des refus de tous les éditeurs, jusqu’à ce que Pascal Pelletier, le boss de chez Galaxie marque son intérêt. Les chemins de l'édition sont une sorte de montée du Golgotha, ce qui ne veut pas dire que je me vois comme le Christ mais par contre, je sens assez régulièrement le poids de la croix... C'est assez compliqué de gérer l'aspect artistique et les contraintes liées à l'édition... C'est le genre de truc qu'on apprend sur le tas: apprendre à accepter les refus, tenter de se faire connaître, produire du matériel de qualité (tout du moins par rapport à ce qu'on sait faire), etc...
Bref, l'édition est un sport en soi, et Galaxie m'a donné ma chance, mine de rien, ça fait plaisir!
Flynn SFFF : Peux-tu en dire plus sur tes projets passées et futurs ?
L. C. : Mon premier album, Lust for Life, est un conte post-apocalyptique mixé à du zombie, mais avec un point de vue un peu décalé, une sorte de trip cauchemardesque mais teinté d'ironie. Ensuite, j'ai fait Welcome to Amnesia, un ensemble de récits courts en milieu carcéral qui vire au fantastique, le tout en égratignant au passage une certaine forme de télé-réalité, parce que c'est de bonne guerre...
Pour l'avenir, je bosse sur une série appelée "Jasmine Arabia: Les Passagers", un polar fantastique sur fond de la question de l'immigration magrébine dans les années 70, avec comme héroïne une flic d'origine marocaine inspirée de l'actrice de charme Jasmine Arabia. Je suis aidé au scénario par un ami, Patrick Artus.
Et aussi sur le côté, je fais des histoires courtes avec un scénariste, Nathan Skars. L'objectif maintenant avec Galaxie étant de sortir régulièrement des compilations de ces récits courts...
Flynn SFFF : Pourquoi avoir choisi Jasmine Arabia ? Pourquoi toujours ce retour au sexe ?
L. C. : J'ai choisi Jasmine arabia, parce qu'elle est d'origine marocaine et parce qu'elle fait du X. De nos jours, une femme flic d'origine maghrébine est aussi "mal vue" par un pan de la société que l'actrice X est "mal vue" par un autre pan de la société... C'est intéressant de voir des gens qui prennent ce genre de chemin, parce que leur vie est un combat, non seulement pour faire sa place, comme tout le monde mais aussi contre les préjugés... Ce n'est pas tant le sexe qui m'intéresse sur ce coup là, mais le rapport qu'on a avec le sexe, ou avec n'importe quelle situation "extrême"... Il faut des couilles pour survivre dans ce genre de milieu, faut être capable de se blinder... Jasmine a de l'humour et un regard décalé sur sa carrière et sur ses choix, c'est une femme qui aime prendre des risques et ça, ça nourrit à merveille son personnage... Et puis, un zeste de nichons ou de fesses allège un peu l'ambiance assez noire... On combine de l'Eros au Thanatos, ça arrondit les angles, si on va par là...
Flynn SFFF : Du coup, tu joues à fond la carte de la provoc' et un peu celle du moralisateur (moralisateur dans le sens ou tu essayes de montrer que ce n’est pas parce qu’elle fait du X ou que c'est une femme qu'elle n’a aucune valeur)
L. C. : Je n'ai même pas l'impression de faire de la provocation, en fait... ni même d'être moralisateur... Je fais des histoires sur lesquelles j'ai un point de vue. En gros, je n'aime pas le tout noir-tout blanc, les choses sont grises et floues... En gros, je crois que la Vérité existe et que la réalité n'en est que sa perception. Il y a plein de choses qui nous échappent: les ultras-sons et infra-basses, les U.V. et les infrarouges, on ne sait pas comment fonctionne l'univers, on a juste des bribes de pistes... Au milieu de tout ça, il y a nous, les gens. Et on doit combler les vides de nos connaissances avec ce qu'on a en main... La BD me sert à ça, à combler les vides. Il n'y pas de morale à en tirer, pas de dogmes à suivre, l'histoire est juste une histoire, au lecteur d'en conclure ce qu'il en veut. Parfois, on me dit caustique et provocateur mais de mon point de vue, le truc le plus cynique que je peux voir, c'est les pages de pub et les journaux télévisés... Je me contente de montrer comment je vois les choses...
Flynn SFFF : Tu fais de la BD sans ambition ? Je veux dire par là que tu ne cherches rien d'autres que faire de la BD, t'amuser, amuser le lecteur, et optionnellement, donner ton point de vue sur les choses ?
L. C. : C'est à peu près ça... Il y a trop de calculs à l'heure actuelle, trop de cahiers de charges à respecter pour "que ça se vende"... J'essaye juste de faire ce que je voudrais lire, d'aller ailleurs, je n'aime pas trop l'idée de faire sans arrêt le même album, c'est pour ça que je varie de ton, d'ambiance, voire même de style de dessin, tant que c'est possible et que ça a un sens... Si on reste honnête par rapport à soi, c'est plus facile d'être franc avec les autres... Je ne me vois pas faire des BD avec des Trolls, pas parce que c'est mauvais, mais parce que ça ne m'intéresse pas, tout simplement... Alors, tant qu'à faire, je fais ce que j'aime, en espérant que ça marche, bien sur, mais je pense qu'on a tous intérêt à rester focalisé sur ce qui nous plait, plutôt que de tenter de séduire artificiellement avec des idées avec lesquelles on ne sent pas à l'aise...
Flynn SFFF : Tu as dit avoir essuyé de nombreux refus d'éditeurs ? Est-ce justement à cette liberté et de cette honnêteté envers toi-même que tu dois ces refus ?
Quel est le principal problème, le principal obstacle à la percée de la BD indépendante comme ce que publie Galaxie ou ce que tu fais toi ?
L. C. : Bonne question... J'en sais rien en fait... Je pense qu'il s'agit plus d'une question d'époque qu'autre chose... Dans les années 80, les éditeurs avaient des magazines, des mensuels, c'était une très bonne école pour les dessinateurs, maintenant, il n'y a quasi plus rien... C'est dur pour tout le monde, pour le riche et célèbre comme le pour fauché inconnu. C'est un monde en mutation, comme celui de la musique, par exemple, et tout le monde en bave... Je ne pense pas être une exception, juste un pion parmi tant d'autres et nous sommes tous logés à la même enseigne, alors, pourquoi tenter de se fondre dans la masse, puisque celle-ci est sur le point d'exploser? Refus d'éditeur ou pas, la question reste là: vendre ou pas, continuer ou pas, évoluer ou pas... Ca ne concerne pas que les auteurs mais TOUS les rouages du système... Et puis, j'aime pas me flageller ou pleurnicher, ça ne changera rien... Alors, faute de mieux, j'avance…
Flynn SFFF : Tes BD’s sont assez violentes en général, mais c’est souvent une violence justifiée (dans le cadre d’une expérience de l’armée et scientifique, pour un jeu TV, etc). A travers cette violence, n’essayes-tu pas de faire passer une critique de la société ? Ou tout du moins, un message à ton lecteur.
L. C. : La violence est un peu à l'image du sexe... D'un côté, ils sont diabolisés, d'un autre, c'est un exutoire. Le sexe et la violence sont de bons moyens d'exprimer autre chose parce que ce sont des pulsions reptiliennes, elles ne se commandent pas. La violence en soi m'ennuie, voire me dégoute, mais elle est aussi un prisme au travers du quel on peut avoir une bonne idée de la nature humaine. En gros, le pire et le meilleur de l'Homme s'exprime dans les extrêmes, cela sert de révélateur.
Une fois perdu le vernis d'humanité, on peut voir comment les individus réagissent, ce qui met aussi en avant leur motivations, leurs envies, etc...
De plus, cela me donne l'occasion de tempérer la violence graphique par des textes ou des dialogues qui nagent plus dans l'ironie, ça crée un champ où le lecteur peut s'aventurer...
D'où l'aspect un peu critique de la société... Maintenant, de là à parler de message à faire passer, je ne pense pas... Mettons que je vois les choses d'une certaine manière, et tente de faire partager mes idées avec le lecteur, qui n'est pas obligé d'être convaincu, ma seule ambition est de le divertir, voire de l'amuser et qui sait, de le séduire (Tout dessinateur est un peu une femme cougar, on se nourrit du regard de l'autre ^^)
Flynn SFFF : Tu appartiens au collectif dEADmEATcOMIX, pourrais-tu nous le présenter ?
L. C. : En fait, ce collectif est un paravent assez pratique dans la mesure où il n'existe pas. Je travaille généralement seul mais comme j'aime assez changer d'ambiance et de style, je me suis inventé des pseudos. L'autre avantage est qu'il me permet de bosser en dehors de la BD, comme graphiste, illustrateur, storyboarder ou dans la peinture. L'autre raison de l'existence de dEADmEATcOMIX est justement l'aspect "collectif", chose qui me fascinait quand j'étais gosse et que je pouvais lire que parfois 4 ou 5 bonshommes bossaient ensemble pour faire un numéro de Hulk ou de Batman... Comme la BD est un boulot assez solitaire, ça me donnait l'impression de l'être un peu moins... Ce qui en soit est assez gland à dire mais bon... Vu que c'est vrai... ^^ Maintenant, avec le temps, cet aspect "studio" devient peu à peu une réalité, puisque je bosse effectivement avec des scénaristes, des écrivains (j'ai bossé avec Davy Artero, écrivain français) et Sylvain Johnson (un auteur canadien) Donc, la réalité a rattrapé la fiction... Comme quoi...
Flynn SFFF : Des conseils pour les jeunes dessinateurs, ceux qui veulent se lancer ?
L. C. : Des conseils? Héhé... Heu... Tenez bon la rampe, accrochez vous à n'importe quoi et surtout, ne lâchez pas... On n'en a pas conscience quand on voit ça de l'extérieur mais la BD n'est pas un monde tendre, c'est un job assez difficile, solitaire, rempli de frustrations, relativement mal payé et peu médiatisé... Faut pouvoir supporter. En même temps, seuls les gens passionnés ont de bonnes raisons de tenir bon, parce que c'est ça ou rien, en gros.
L'autre truc, c'est qu'il faut résister au formatage: ce qui fait qu'un auteur est intéressant, c'est qu'il reste lui-même. C'est ça, un auteur: affirmer sa propre vision du monde en restant ouvert aux autres (tout en sachant qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, ce qui est normal...)
Flynn SFFF : Un petit mot pour clore l’interview ?
L. C. : Héhéhé! Merci à vous de m'avoir lu et qui sait, de continuer à me lire? Bonne journée à tous et à bientôt dans de nouvelles aventures!
Flynn SFFF : Merci à toi d’avoir répondu à mes questions !
Cette interview est parue aussi dans Dead meat comix, le mag #1 novembre 2013.